Stimulation Électrique pour le Glaucome : Amplification du Signal ou Véritable Neurorégénération ?
Stimulation Électrique pour le Glaucome : Amplification du Signal ou Véritable Neurorégénération ?
Le glaucome est une cause majeure de perte de vision irréversible (affectant >70 millions de personnes dans le monde), caractérisée par la perte de cellules ganglionnaires de la rétine et des lésions du nerf optique (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Actuellement, le seul traitement avéré ralentit les dommages en réduisant la pression intraoculaire (PIO) (pmc.ncbi.nlm.nih.gov) ; aucune thérapie ne peut réellement restaurer la vision perdue. Cela a stimulé l'intérêt pour les thérapies de neurostimulation visant à protéger ou même à raviver les neurones rétiniens. Deux approches principales sont à l'étude : la stimulation électrique transcornéenne (SET, via des électrodes cornéennes) et la stimulation à courant alternatif transorbitaire ou transcrânienne (SCA, via des électrodes près des yeux). Nous passons en revue les études contrôlées par placebo de ces méthodes dans le glaucome, leurs mécanismes d'action proposés, les paramètres de stimulation typiques, et les effets observés sur la vision (champ visuel et sensibilité au contraste), ainsi que les questions pratiques de sécurité et de disponibilité.
Comment la stimulation électrique pourrait-elle aider ?
Les travaux expérimentaux suggèrent plusieurs façons dont les courants brefs peuvent stimuler la survie et la plasticité neuronale. Une catégorie d'effets est la régulation positive neurotrophique : la stimulation incite la rétine et le nerf optique à produire des facteurs de croissance qui nourrissent les neurones. Par exemple, dans les modèles animaux de lésion optique, la SET ou la SCA augmente les niveaux de neurotrophines telles que le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF), le facteur neurotrophique ciliaire (CNTF) et le facteur de croissance analogue à l'insuline (IGF-1) (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Le BDNF, en particulier, est essentiel à la survie des cellules ganglionnaires de la rétine (CGR) et à la plasticité synaptique, de sorte que sa régulation positive pourrait aider à « raviver » les cellules dysfonctionnelles mais vivantes. Dans une étude, des courants alternatifs appliqués à des rats blessés ont augmenté les niveaux de BDNF et de CNTF dans l'œil (pmc.ncbi.nlm.nih.gov).
La stimulation électrique semble également déclencher une signalisation anti-apoptotique (anti-mort cellulaire). Des analyses géniques de la rétine de rongeurs après SET ont montré une régulation négative des facteurs apoptotiques et une régulation positive des protéines de survie cellulaire (pmc.ncbi.nlm.nih.gov) (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Par exemple, la SET peut augmenter la Bcl-2 (une protéine anti-apoptotique) et diminuer la Bax (une protéine pro-apoptotique) dans les cellules rétiniennes (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). En termes pratiques, ces changements moléculaires sont corrélés à une plus grande survie neuronale : dans un modèle de lésion glaucomateuse, les yeux traités par SET présentaient significativement plus de CGR survivantes un mois après la lésion que les yeux non traités, ainsi que des niveaux plus élevés d'IL-10 anti-inflammatoire et moins d'activité NF-κB (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). En d'autres termes, les impulsions électriques suppriment l'inflammation dommageable et les voies de mort cellulaire, aidant à préserver les CGR (pmc.ncbi.nlm.nih.gov) (pmc.ncbi.nlm.nih.gov).
Enfin, la stimulation électrique pourrait solliciter la plasticité corticale. Le glaucome prive le cerveau des informations provenant du nerf optique endommagé, mais certaines voies visuelles restent intactes (« vision résiduelle »). En envoyant des courants rythmiques aux yeux, la rtACS pourrait entraîner les ondes cérébrales (en particulier les oscillations de la bande alpha) dans le cortex visuel, réactivant potentiellement les circuits sous-utilisés. Dans un essai contrôlé, les auteurs de l'étude ont noté que les gains de vision revendiqués par la SCA à 10 Hz étaient attribués à une « synchronisation neuronale accrue et une activité oscillatoire cohérente via l'entraînement des fréquences alpha » dans le cortex occipital (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Ce type d'idée inspirée par la neuromodulation – stimulant la connectivité cérébrale avec les entrées survivantes – est activement étudié, bien que les preuves chez les patients atteints de glaucome restent indirectes (pmc.ncbi.nlm.nih.gov).
En résumé, les données de laboratoire suggèrent que la stimulation électrique pourrait favoriser la neuroprotection en (1) augmentant les facteurs de croissance comme le BDNF, (2) bloquant les signaux de mort cellulaire (par exemple en régulant positivement la Bcl-2), (3) réduisant l'inflammation, et (4) exploitant la plasticité cérébrale. Ces effets sont hypothétiques chez l'homme, mais fournissent une justification pour les essais cliniques.
Études Cliniques
Stimulation Électrique Transcornéenne (SET)
Dans la SET, un contact conducteur (tel qu'une électrode de lentille cornéenne) délivre de brèves impulsions ou des courants sinusoïdaux à travers la cornée jusqu'à la rétine. Dans le glaucome, la plupart des études sur la SET ont été petites et préliminaires. Une série de cas pilote japonaise a traité cinq yeux (quatre hommes) atteints de glaucome à angle ouvert par des séances trimestrielles de SET de 30 minutes sur plusieurs années (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Dans cette étude non contrôlée, la quantité de stimulation cumulative était fortement corrélée à de meilleurs champs visuels : les yeux recevant plus de séances ont montré une plus grande amélioration du défaut moyen (DM) (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Cependant, sans groupe de contrôle, cela pourrait refléter des changements inhérents lents ou des effets d'apprentissage. En revanche, un ECR contrôlé par placebo de SET chez 14 patients atteints de glaucome n'a trouvé aucun bénéfice significatif sur le champ visuel (pubmed.ncbi.nlm.nih.gov). Dans cet essai, la « dose » de SET était de séances hebdomadaires de 30 minutes pendant 6 semaines, à 66 % ou 150 % du seuil de phosphène, et les résultats (acuité et champ de Humphrey) n'ont pas différé du placebo (pubmed.ncbi.nlm.nih.gov). Aucun événement indésirable grave n'est survenu, et à l'exception d'une hémorragie spontanée de la papille optique (dans un œil de contrôle), aucun signal de sécurité n'est apparu (pubmed.ncbi.nlm.nih.gov).
Une autre petite série (K. Ota 2018) a suivi cinq yeux avec une SET supraliminairé trimestrielle sur environ 4 ans ; ceux-ci ont montré une amélioration progressive du DM proportionnelle au nombre de traitements (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Jusqu'à présent, les preuves de la SET dans le glaucome sont mitigées : certaines petites études de cas suggèrent une stabilisation ou un léger gain dans le champ visuel avec des sessions répétées (pmc.ncbi.nlm.nih.gov), mais le seul ECR publié n'a pas confirmé d'effet (pubmed.ncbi.nlm.nih.gov). Il est important de noter qu'aucune étude sur la SET n'a comparé au-delà de quelques mois ni testé la rétention du bénéfice à long terme.
Les paramètres typiques de la SET dans les essais sur le glaucome ont été de l'ordre de 20 à 30 minutes par séance, souvent administrées hebdomadairement ou mensuellement, avec des courants ajustés pour induire des phosphènes. (Par exemple, un protocole a utilisé des impulsions biphasiques à 20 Hz au niveau du seuil de phosphène de chaque sujet pendant 30 min une fois par semaine (pubmed.ncbi.nlm.nih.gov).) Aucune norme dose-réponse n'a été établie, et les appareils varient. En 2025, la SET pour le glaucome reste expérimentale et n'est proposée que dans le cadre d'essais ou de cliniques spécialisées.
Stimulation à Courant Alternatif Transorbitaire/Transcrânien (rtACS)
Une approche alternative est la SCA transorbitaire non invasive : des électrodes sont placées sur la peau autour de l'œil (souvent dans une monture de type lunettes de protection) pour envoyer de faibles courants alternatifs dans la voie visuelle. Au cours de la dernière décennie, plusieurs essais contrôlés par placebo ont étudié la rtACS dans les neuropathies optiques (généralement des diagnostics mixtes), dont quelques-uns axés sur le glaucome.
Un essai randomisé marquant (Gall et al., 2016) a recruté 82 patients atteints de diverses neuropathies optiques partiellement aveuglantes et a appliqué la rtACS quotidiennement pendant 10 jours ouvrables consécutifs. Le groupe traité a montré une amélioration moyenne de 24 % de la sensibilité du champ visuel (défaut moyen) par rapport à la valeur initiale, durant au moins deux mois (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). C'était significativement meilleur que le placebo. (Cette étude incluait certains patients atteints de glaucome, mais aussi d'autres causes de perte de champ visuel.) Une analyse rétrospective de suivi à long terme de nombreux patients a également révélé que près des deux tiers des yeux traités ont « arrêté » la progression pendant environ 1 an après un traitement rtACS similaire (pmc.ncbi.nlm.nih.gov) : le DM médian s'est amélioré de 14,0 à 13,4 dB (p<0,01) sur un an, avec environ 63 % des yeux montrant un DM stable ou meilleur (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). En comparaison, les patients typiques atteints de glaucome déclinent en moyenne d'environ 0,5 dB par an, cette stabilité est donc remarquable.
Cependant, d'autres études ont tempéré l'enthousiasme. Un ECR plus petit (Ramos-Cadena et al., 2024) chez 16 patients atteints de glaucome avancé a appliqué 10 séances de rtACS sur 2 semaines (onde sinusoïdale de 10 Hz à 0,45-1,5 mA via des électrodes sur le front/joue) et a été suivi pendant 1 mois (pmc.ncbi.nlm.nih.gov) (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Cet essai n'a trouvé aucun changement significatif dans les tests de vision objectifs – ni l'acuité visuelle, ni la sensibilité au contraste, ni le DM du champ de Humphrey n'ont montré d'amélioration au-delà du placebo (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). (Le groupe placebo a en fait montré un léger gain précoce du champ visuel qui a ensuite régressé, suggérant un effet d'apprentissage (pmc.ncbi.nlm.nih.gov).) Le groupe traité a signalé une qualité de vie autodéclarée plus élevée liée à la vision (activités de près, dépendance, santé mentale) (pmc.ncbi.nlm.nih.gov), mais sans gains fonctionnels concomitants. Il est à noter qu'aucun effet secondaire grave n'est survenu chez ces patients, et seules de légères sensations de picotement ou de phosphènes ont été signalées (pmc.ncbi.nlm.nih.gov).
En résumé, l'ampleur du bénéfice dans les essais de rtACS a été modeste et incohérente. Le gain de 24 % du CV de l'étude de Gall semble important, mais il représente une amélioration relative moyenne qui n'a duré que quelques mois (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). En revanche, l'essai en double aveugle de Ramos-Cadena n'a pas montré de bénéfice significatif sur le champ visuel ou le contraste sur 1 à 4 semaines (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). De même, une cohorte allemande « en vie réelle » de 2021 a suggéré une stabilisation (pas de déclin moyen) sur 1 an (pmc.ncbi.nlm.nih.gov), mais sans bras de contrôle, cela pourrait en partie refléter une variabilité attendue. En pratique, les gains de champ visuel rapportés avec la rtACS sont faibles (quelques décibels) et de courte durée, disparaissant souvent après quelques semaines si la thérapie n'est pas répétée. Les changements de sensibilité au contraste ont été encore moins évidents : dans l'ECR de 2024, aucun groupe n'a montré d'améliorations mesurables du seuil de contraste (pmc.ncbi.nlm.nih.gov).
Un problème clé est l'effet placebo/d'apprentissage. La réalisation de tests périmétriques répétés peut en soi produire de petites améliorations « d'apprentissage ». Dans l'étude de Ramos-Cadena, le groupe placebo a eu un gain de champ temporaire qui a ensuite diminué, illustrant ce phénomène (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Ainsi, tout gain de champ modeste avec une stimulation réelle doit être jugé par rapport à ce qui se passe chez les contrôles. Jusqu'à présent, seuls quelques essais sont suffisamment importants pour en juger – et leurs résultats sont mitigés. En fin de compte, les thérapies revendiquent des améliorations statistiques par rapport au placebo dans certaines études (par exemple, Gall 2016 (pmc.ncbi.nlm.nih.gov)) mais pas dans d'autres (par exemple, Ramos 2024 (pmc.ncbi.nlm.nih.gov)). La signification clinique (à quel point un patient voit mieux) des gains modestes rapportés est encore incertaine.
Les paramètres typiques de la rtACS dans les études sur le glaucome ont été à peu près : 10 séances, chacune d'environ 25 à 40 minutes, de courants alternatifs de faible intensité (moins de 2 mA) à environ 5 à 20 Hz. Par exemple, Ramos-Cadena a utilisé une onde sinusoïdale de 10 Hz avec une amplitude augmentant progressivement (0,45-1,5 mA) sur 5 jours consécutifs (30 min chacun), puis 5 jours supplémentaires à 40 min chacun (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). D'autres protocoles ont fait varier la fréquence (souvent ~10 Hz, parfois des bandes alternées jusqu'à 37 Hz) et le placement des électrodes. En pratique, les chercheurs choisissent des courants juste assez forts pour provoquer des phosphènes (éclairs brefs) chez les patients.
Sécurité
Dans l'ensemble des essais, la stimulation électrique a été bien tolérée. Dans l'ECR SET, aucun événement indésirable grave lié au traitement n'est survenu (pubmed.ncbi.nlm.nih.gov). Les principaux effets secondaires sont légers : picotements ou tics de la paupière, quelques patients peuvent ressentir le courant ou un léger mal de tête pendant la stimulation. L'essai rtACS de 2024 n'a rapporté aucun événement indésirable grave (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). En effet, en Europe, plus de 1 000 patients ont déjà reçu des cures de rtACS de 10 jours (10×60 min) sous surveillance médicale, avec zéro signalement de préjudice grave (www.ophthalmologytimes.com). Globalement, le risque pour les patients semble négligeable hormis un inconfort temporaire – une raison pour laquelle ces méthodes sont attrayantes pour les patients désireux de nouvelles thérapies.
Thérapies de Nouvelle Génération
Appareils et disponibilité : Actuellement, la stimulation électrique pour le glaucome est principalement un service de recherche ou clinique de niche. Un système commercial, Eyetronic Nextwave, délivre la SCA transorbitaire via des lunettes et est marqué CE en Europe pour toutes les neuropathies optiques (y compris le glaucome) (ichgcp.net). Il est utilisé en Allemagne et dans certains autres pays, bien qu'il ne soit pas couvert par les assurances, les patients paient donc généralement de leur poche. Aux États-Unis, la thérapie Eyetronic n'est disponible que dans le cadre d'essais cliniques. Notamment, le Dr Sunita Radhakrishnan (Glaucoma Center of SF) a récemment traité le premier patient américain dans un tel essai (www.ophthalmologytimes.com). L'essai Eyetronic enregistré prévoit 10 séances de stimulation d'une heure (quotidiennes) et suivra les champs de Humphrey pendant un an (ichgcp.net).
D'autres approches de recherche « nouvelle génération » incluent les stimulateurs implantables. Par exemple, une étude préclinique récente a testé un implant rétinien suprachoroïdien (un réseau d'électrodes placé entre la rétine et la choroïde) délivrant des impulsions continues (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Chez les chats, une stimulation supraliminairé chronique via cet implant n'a produit aucun dommage rétinien ni problème de sécurité (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Ainsi, un dispositif implantable pourrait un jour fournir des courants neuroprotecteurs continus sans nécessiter de visites quotidiennes à la clinique (pmc.ncbi.nlm.nih.gov). Pendant ce temps, des essais comme l'étude GREAT de Hong Kong explorent les stimulateurs transcrâniens portés sur la tête, associés à un entraînement visuel (apprentissage perceptuel) pour améliorer toute vision résiduelle. En bref, des efforts sont en cours pour rendre la neurostimulation plus personnalisée (par exemple, un placement d'électrodes adapté par IRM (pmc.ncbi.nlm.nih.gov)) et conviviale.
Conclusion
Les thérapies par stimulation électrique offrent une stratégie intrigante d'amplification du signal pour le glaucome, mais il est encore incertain si elles réalisent une véritable neurorégénération. Les premières études montrent occasionnellement de petits gains dans les champs visuels et la vision rapportée par les patients, mais les résultats ont été incohérents, et les gains (s'il y en a) sont généralement de courte durée. La justification scientifique (régulation positive du BDNF, anti-apoptose, plasticité corticale) est solide chez les animaux (pmc.ncbi.nlm.nih.gov) (pmc.ncbi.nlm.nih.gov), mais les preuves chez les patients sont modestes jusqu'à présent. Des essais plus larges, contrôlés par placebo, sont nécessaires pour déterminer à quel point ces thérapies sont réellement bénéfiques au-delà de l'effet placebo. Pour l'instant, la stimulation électrique reste expérimentale – sûre mais non prouvée – et ne doit pas remplacer le traitement standard de réduction de la PIO. Les cliniciens et les patients devraient suivre les essais en cours (tels que l'étude VIRON) pour obtenir des preuves plus solides. Si elle est confirmée, la neuromodulation non invasive pourrait devenir un complément précieux pour préserver la vision au-delà du contrôle de la PIO, offrant enfin aux patients atteints de glaucome une chance d'une amélioration réelle de la vision.
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